Irem reconnaissait volontiers que les contrôles d’identité n’avait pas grand-chose d’enthousiasmant, c’était même relativement pénible -pas autant que la paperasse. Toutefois, quand elle avait suffisamment de chance pour qu’on l’envoie patrouiller dans des cités animées, elle arrivait toujours à trouver de quoi se distraire un moment. C’était la journée du marché du poisson, près du port de Damante, alors Irem prit un certain plaisir à en faire le tour. Depuis quelques mois qu’elle avait officiellement terminé sa formation, elle n’avait pas toujours l’occasion de pouvoir arpenter celui d’Avros, car elle était régulièrement envoyée pour diverses missions tout le long des côtes du pays. S’y promener en tant que militaire n’avait pas la même saveur qu’en civile, elle s’en était vite rendue compte. A Avros comme à Damante, les policiers étaient respectés et elle sentait chez les marchands qu’elle abordait une espèce de courtoisie mielleuse qu’elle n’appréciait que moyennement.

Elle finit par se résoudre à faire un tour du marché pour le simple plaisir des yeux, n’abordant quelques marchands au hasard que pour vérifier leurs papiers. Le port d’Avros était très contrôlé, et en grande partie occupé par la flotte de leur police, alors très peu de clandestins se risquaient à s’y installer. Ce n’était pas forcément le cas des cités voisines plus petites, qui voyaient quelques trafics se développer près de leurs côtes, entre pirates, brigands et autres marchands peu scrupuleux. Dans une telle mare de monde, ils parvenaient assez aisément à se faufiler, sans forcément attirer les regards, aussi Irem restait attentive aux comportements et aux visages qu’elle croisait.

L’appel de son nom derrière elle la tira de ses observations silencieuses. Elle peina à distinguer sa collègue Lena qui l’avait appelée dans la foule fourmillante de passants entre deux rangées d’étals. Elle tenait à sa main une brochette fumante de poisson, qu’elle grignotait un sourire aux lèvres.

« Tu prends déjà ta pause déjeuner ? lança Irem, une moue moqueuse sur le visage.
-Déjà ? Il est plus de midi ! se défendit la blonde. Tu nous rejoins sur la jetée, près du navire ? On a acheté quelques brochettes.
-J’ai pas tout à fait fini de…
-Oh allez ! Y a rien à signaler ici, on a déjà fait le tour avec Heron. Ca commence à devenir étouffant, moi, j’en peux plus ! »

Irem ne fit pas trop de difficulté à se laisser entraîner par la policière. L’atmosphère surchauffée du marché, les fortes odeurs, les appels des commerçants, et les bavardages des passants devinrent un agréable bruit de fond lorsqu’elle arriva sur la jetée près de laquelle ses collègues s’étaient installés. Irem se laissa porter par la discussion, le temps de son déjeuner, mais elle fut rapidement distraite par l’observation des lointains navires qu’elle voyait à l’horizon. Lena et Heron se taquinaient, avec cette complicité louche qui expliquaient les paris -toujours en lice- qu’avaient pris la moitié de leur promotion pour déterminer quand ils se mettraient ensemble, aussi Irem n’eut aucune difficulté à s’éclipser sans se faire remarquer. Elle venait de noter la présence d’un bateau sur l’un des quais qu’elle aurait juré avoir vu vide lorsqu’elle était passée tout à l’heure.

Elle remonta la promenade jusqu’à arriver près de pontons de bois un peu plus loin derrière le marché et interpella le premier homme qu’elle vit, dos à elle :

« Bonjour, Police des Mers, lança t-elle machinalement, sans prendre la peine de désigner l’insigne à sa poitrine, que l’homme avait déjà sûrement reconnu. Avez-vous une autorisation pour amarrer ici ? »